La beauté âpre d’une pelouse sèche

Une maigre végétation de chaleur et de sécheresse

Il n’y a pourtant que cette vallée sèche avec un fond de graviers calcaires, ces touffes d’herbe assez basses entre lesquelles affleurent de larges zones de sables blancs, ces maigres bosquets de prunelliers isolés çà et là et, à perte de vue, des hordes de pins sur les pentes de la grande forêt francilienne qui l’encercle mais on dirait, on dirait qu’une steppe s’est couchée là, devant nos yeux, au sortir de la lisière.

On sort prudemment du couvert de la forêt, on s’avance à pas lents, sans rien de la ronce des bois pour se prendre les lacets, et on devient aussitôt visible dans cette immensité vide.

Tout le monde a déjà vu de ces pelouses sèches où rien ne pousse, à cause de ce sol ingrat et blanc qui ne retient jamais la pluie. Malgré cette réputation, la tête baissée, on aperçoit des cambrures et des motifs, des tiges rayonnantes, enfin des couleurs : lichens ébouriffés, gris comme de la cendre, rayures sèches des graminées, orbes de tiges alourdies de rosée, et du magenta des corolles, fleurs discrètes et jaunes des piloselles nervurées de sang. Maigre végétation de chaleur et de sécheresse, rampante, exposée aux vents – malgré les feuilles coriaces et le duvet – et qui s’élève tout juste d’un sol encore engourdi de misère pour, année après année, s’étager en sous-arbrisseaux à peine plus haut que la main.

On accélère le pas ; cette étendue rase ponctuée des petits joyaux du sud nous attire autant que l’horizon intriguant d’une steppe. Et là, entre cheville et genou, les plumes ouvertes et roses de l’anémone pulsatille, l’hélianthème des Apennins en discrètes compagnies, les têtes vermeilles et rondes des ails élevés, et le pavot Argémone aux pétales d’un rouge de coquelicot, froncé ainsi que du papier de soie.

Ainsi de terres abandonnées des troupeaux sont nées de modestes plates-bandes aux influences de Méditerranée, clairsemées par le souffle d’un vent libre de rouler la poussière là où aucun arbre ne peut prendre racine. On s’avance encore, et les yeux balaient l’étendue rase ondoyant sous la brise.

Alors, ramassée dans cette vallée sèche, sans spectaculaire ni abondance, cette pelouse rassemble une flore âpre que l’on ne trouve plus que si peu ? Oui, faute de bergers, on laisse des pionniers parmi les arbrisseaux lancer une colonisation ; cela fera des copeaux pour les poêles ; on laisse aussi ailleurs l’agriculture – hautement productive ! – pénétrer profond la charrue pour enfouir le sable blanc avec ses trésors d’invention contre la rudesse ; cela fera des revenus dès l’année prochaine…

Une pie-grièche masquée de noir volète vers un buisson d’aubépine, qu’elle utilise comme un lardoir pour ses criquets. Haut dans le ciel, une alouette lulu égrène un chant guilleret connu de Messiaen.

Mais nous, après cela, nous ne voulons rien savoir de ces pourcentages environ de pelouses qui disparaissent chaque année. C’est absurde. On nous prend pour des simples. Grommeler notre colère ne donne rien ; nos accusations ne sont pas franches. Alors le renoncement et l’aigreur ? Non, promouvoir la beauté de l’âpre, encore, et encore, pour déclore des yeux.


Vous pouvez aussi consulter la galerie consacrée à ce milieu.


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